En Californie les Français écrivent leur ruée vers l'or (1848 -1915) / Éditions Honoré Champion

Jeudi, 3 Août, 2023 - 19:50

Ce formidable essai présente une quarantaine de récits de voyageurs écrivains pour qui la Californie était un Graal

Pourquoi débuter en 1848 ? Car c'est à cette date qu'est située la Ruée vers l'or et celle où les Français subissent l'impact considérable de l'instabilité politique issue du passage de la monarchie de Louis-Philippe à une République. De ce fait l'émigration s'accélère. En route pour la Terre promise de l'Ouest américain. 1915, marque la fin de la période étudiée. Nous sommes un an après le début d'un conflit mondial et de l'ouverture du canal de Panama qui modifie les conditions de voyage depuis l'Europe. C'est aussi l'année où a lieu l'exposition universelle de San Francisco. Dans l'introduction Nirina Ralantoaritsimba précise qu'à cette époque la Californie était beaucoup plus vaste, regroupant cinq états. Elle détaille les différentes origines du nom Californie et situe la naissance du mythe de l'or bien avant 1848, au XVIIIe siècle. L'ambition de son essai est d'établir un corpus diversifié des voyageurs quand la littérature de voyage entre dans "la norme", et où la presse envoie ses reporters sur les routes, pour contenter le lecteur friand de récits d'aventures. Ces voyageurs appartiennent à toutes les catégories sociales : aristocrates, marins, militaires, ingénieurs, scientifiques, hommes et femmes d'affaires, religieux, hommes de lettres, universitaires, journalistes, nobles ruinés, femmes voyageuses, diplomates par leurs choix à ranger aussi parmi ces aventuriers, animés par une curiosité intellectuelle et une aspiration à représenter la France dans le monde. Mais le plus souvent "dans tous les sens du terme, la Californie est le tombeau des voyageurs au long cours" comme le souligne François Moureau dans sa préface. Cette "Poursuite du Bonheur" au bout du Nouveau Monde répond à un état d'esprit pour certains et au supplice de l'espérance pour les plus démunis. Le séjour envisagé sans espoir de retour, né dans l'enthousiasme est payé d'amères déceptions. Qu'apprend-on avec ces récits passionnants de voyageurs écrivains répertoriés et analysés en profondeur par Nirina Ralantoaritsimba ? Que le voyageur écrivain en Californie se révèle un "self-made man en devenir". Que celui de la Ruée vers l'or écrit dans des situations extrêmes où il y va de sa survie, que les récits de voyage sous forme épistolaire ont des contenus ethnographiques assortis d'autobiographies, que l'héroïsation du voyageur contribue à la transformation du récit de voyage en roman d'aventures rappelant les romans-feuilletons d'Alexandre Dumas, que la route en chemin de fer ouvre l'ère du tourisme, que les Noirs et les Indiens sont les vaincus - à ce propos notons l'extrait des Mémoires d'Outre-Tombe de Chateaubriand, relevé par Nirina Ralantoaritsimba : "Quand l'Indien était nu ou vêtu de peau, il avait quelque chose de grand et de noble ; à cette heure, des haillons européens, sans couvrir sa nudité, attestent sa misère : c'est un mendiant à la porte d'un comptoir, ce n'est plus un sauvage dans sa forêt". Nous comprenons aussi que le péril jaune est stigmatisé car en 1868, les trois-quart des ouvriers sur le projet ferroviaire étaient Chinois, qu'un nouveau genre littéraire  est né, le "western littéraire à la française" qui a construit des mythes californiens qui sont devenus les grands mythes américains toujours vivaces, que "L'Or" de Blaise Cendrars publié en 1925 s'inspire du personnage de Johann O. Sutter, une épopée tragique portée à son comble. Souffrez cher lecteur de ce long article un dernier extrait. Cette bibliothèque de grande qualité présentée et étudiée par Nirina Ralantoaritsimba le mérite : "Le livre analyse en détail cette descente aux enfers de l'illusion. Chercheurs d'or sevrés de pépites, aristocrates réduits à mendier leur quotidien, femmes du monde qui versent dans le demi-monde, toutes ces aventures personnelles souvent mal dissimulées dans le récit peignent l'échec de la résurrection sociale qui n'est réservée qu'à une infime minorité." Si vous êtes passionnés par ce sujet, ce livre trouvera inévitablement sa place dans votre bibliothèque. Collection Atelier des Voyages N°14. Broché. Format : 15,7 x 23,6 cm. 240 p. 55€. Paule Martigny – Mémoire des Arts