Le roman soviétique, un continent à découvrir / Grasset

Mardi, 14 Février, 2023 - 09:05

Essai de Dominique Fernandez de l’Académie française

Dominique Fernandez l’un des plus grands connaisseurs de la littérature russe ("Dictionnaire amoureux de la Russie", Plon, 2004, "Avec Tolstoï", Grasset, 2010) a compilé dans cet essai un panorama des romans et des auteurs russes du XXe siècle, comme Boris Pasternak, persécuté, stigmatisé pour "Le docteur Jivago", Isaac Babel, Tchinguiz Aïtmatov ou Alexeï Tolstoï (sans lien de parenté avec Léon Tolstoï). L'auteur analyse notamment les mouvements d'opposition à Staline ainsi que l'impact de la révolution et de la dictature sur la littérature soviétique. "Un livre sur le roman soviétique, maintenant ? Précisément maintenant : comme le disait Romain Rolland pendant la Grande Guerre, ce n’est pas parce que les Allemands l’ont voulue que nous allons renier Goethe", nous rappelle l’éditeur. Nombre des écrivains qu’évoque Dominique Fernandez et dont il analyse l’œuvre se sont opposés à Staline, ou ont contourné la censure par le roman historique ou le roman de science-fiction. A propos de création le peintre Vladimir Tatline écrivait en 1919 : "la révolution a renforcé en nous l’impulsion d’invention". Il est essentiel de comprendre que le peuple russe est unique en son genre, paradoxal, excessif, passionné, mystique du sacrifice, il échappe à toute approche rationnelle. Gorki qui avait tenté de se suicider à l’âge de dix-neuf ans déclarait : "Pourquoi suis-je né avec une échine sur laquelle aucun harnais ne va ?" Joseph Kessel auquel une belle place est attribuée dans cet ouvrage, parlait de "l’âme inquiète de la terre russe" et d’un "immense souffle que soulève chez l’homme le plus banal, le plus endormi, une énergie sauvage qui l’incite à des exploits héroïques comme à des crimes abjects". C’est pour cette raison que les amateurs de la littérature russe aiment ardemment Fiodor Dostoïevski ou Léon Tolstoï. Dominique Fernandez rappelle que cinéma et la musique russes se sont inspirés de la littérature de leurs compatriotes, à l’exemple du film "Le Don paisible", épopée de la vie des cosaques, de Mikhaïl Cholokhov adapté au cinéma par Sergueï Guerassimov en 1957, ou Alexandre Nevski (1938) du réalisateur Sergueï Eisenstein avec une musique de Sergueï Prokofiev. Vladimir Arseniev, explorateur russe fut le premier à soulever la curiosité aux marches de l’Empire russe en l’occurrence l’Extrême-Orient sibérien, avec le résultat de ses deux missions en deux volumes : "Derzou Ouzala" (1921-1923) qui donna lieu à l’inoubliable film d’Akira Kurosawa (1975). Aux côtés des grands classiques, certains méconnus en France, sans oublier les poètes Vladimir Maïakovski, Alexander Blok, Sergueï Essenine et bien sûr les femmes poètes et écrivains, engagées et courageuses complètent cet essai. La partie consacrée aux rapports de Staline avec les écrivains mérite le détour, avec entre autres Mikhaïl Boulganov (1891-1940) auteur du célèbre "Le Maître et Marguerite", et de "La Vie de Monsieur de Molière". Des Français en lien avec la Russie figurent aussi dans cet ouvrage comme André Gide et son sulfureux "Retour de l’URSS", qui fut honni par la gauche, ou Romain Rolland qui avait préfacé la traduction française de Nikolaï Ostrovski, "Et l’acier fut trempé". Avec la chute de l’URSS, tout un pan de la littérature a été injustement effacé. Dominique Fernandez s’opposant à une idée reçue, exhume du mépris où ils ont été plongés de grands auteurs du "réalisme socialiste". La dictature ayant par contrecoup fait naître une fiction satirique. Preuve que la littérature ne fut jamais réduite au silence, Dominique Fernandez achève son essai par un grand livre, "Vie et Destin" de Vassili Grossman, proscrit par les Soviétiques. Pour contribuer à cette étude remarquable, Dominique Fernandez a consulté les quelques soixante-dix volumes de la collection "Littératures soviétiques" d’Aragon qui ont fait découvrir de nombreux écrivains de plusieurs générations. Dominique Fernandez est l’auteur d’une œuvre considérable par sa qualité et sa foisonnance (une centaine de livres parus), qui lui a valu notamment le prix Médicis en 1974 pour Porporino ou les mystères de Naples, le prix Goncourt en 1982 pour Dans la main de l’Ange, le prix Charles-Oumont de la Fondation de France en 1986 pour L’Amour, le prix Prince Pierre de Monaco pour l’ensemble de son œuvre en 1986, le prix Méditerranée et le prix Brancati en 1988 pour Le radeau de la Gorgone, le prix Lambda Literary aux USA en 2003 pour la traduction de L’amour qui n’ose dire son nom, Art et homosexualité, le prix François Mauriac et le grand prix Jean-Giono en 2009 pour Ramon. Broché. Format : 14,1 x 20,5 cm. 560 p. 26€. Paule Martigny