Un mal irréparable / Éditions Mialet-Barrault

Je l’avoue, je connaissais mal ce terrible épisode, celui du goulag roumain appelé la "Sibérie roumaine". La déportation en masse de près de 44 000 "ennemis du peuple" arrêtées en quelques heures en 1951 par le régime communiste roumain. Le narrateur avait alors deux ans, sa mère était enceinte. Ils allaient vivre cinq années en enfer
L’auteur de ce roman, Lionel Duroy, s’est déplacé à plusieurs reprises, à la recherche de rescapés de la déportation dans le Bărăgan, partie de la plaine alluviale du bas-Danube et de la steppe pontique, région faiblement peuplée. Il a recueilli leurs souvenirs grâce à un interprète. Les témoignages de certains des survivants du goulag communiste roumain ont été enregistrés et conservés par le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine.
L’écrivain à succès, Frédéric Riegerl découvre alors qu’il est septuagénaire que ses parents lui ont menti. Ils lui ont volontairement caché l’ignominie infligée par les communistes roumains au début des années cinquante, lui faisant croire que son histoire a commencé à leur arrivée à Paris. Il avait sept ans. A-t-il vécu ses premières années en France dans le déni ? A sept ans, on conserve des souvenirs. On comprendra pourquoi en même temps que le narrateur.
Ses parents lui parlaient de leur maison de vacances à la campagne au Bărăgan. Pourquoi lui ont-ils caché la vérité sur ces cinq années de déportation ? Cette question ne va plus cesser de l’obséder. Sa propre vie bâtie sur un mensonge, sur un secret ? Ses "problèmes" avec les femmes qu’il aime auraient-ils un rapport avec ce qu’il a vécu là-bas ? Il est anéanti. A 73 ans il se lance dans la quête de la vérité.
"Impossible d’atterrir à Kiev avec la guerre, j’ai donc pris un billet d’avion pour Bucarest et réservé une voiture à l’aéroport. De là, il ne me restera que cinq cents kilomètres à parcourir pour atteindre Czernowitz (Tchernivtsi, aujourd’hui, puisque la ville est désormais en Ukraine). Pour la première fois, au soir de ma vie, je vais donc voler en direction de l’est, vers "le goulag", aurait dit mon père. Le mot était apparu au début des années 1970 quand avait été publié en France le livre d’Alexandre Soljenitsyne L’Archipel du Goulag. Ma mère parlait, elle, de la "terreur rouge" qu’incarnait à ses yeux "le" Russe."
Frédéric Riegerl a découvert un cahier écrit par sa mère sur ces années de goulag. Elle raconte. L’arrestation à la ferme leur laissant peu de temps pour réunir leurs affaires, la première nuit transis dans des champs de chardons, l’ordre de construire eux-mêmes leur maison et de ne pas s’éloigner du périmètre alloué, les briques fabriquées avec la terre, le manque d’eau, les hommes obligés de travailler dans les champs, les gens qui meurent, les vieux et les enfants d’emblée, les premières tombes qui apparaissent, etc. Ils sont en haillons pieds nus, les hivers sont redoutables, le vent cauchemardesque, les étés accablants. Comment résister ?
Le roman est bâti en alternance avec le récit de la mère et les pérégrinations de son fils, à la recherche assidue et laborieuse des lieux de la terreur, autant qu’à celle de sa propre identité. La structure du roman et la nature de l’écriture de Lionel Duroy nous touchent au plus haut point. C’est une lecture prégnante, bouleversante, qui marque notre esprit. Elle nous absorbe totalement. Par ce mensonge ses parents ont désiré lui garantir un bel avenir, ce qui a été le cas, mais si Frédéric Riegerl avait connu la vérité, quelle aurait été sa vie?
En conclusion reprenons les mots de l’auteur : "Certes, le communisme a cessé d’exister, à Berlin le mur est tombé dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, abattu par une foule en liesse, les"pays de l’Est" se sont affranchis du rideau de fer, mais le Russe, communiste ou non, n’a rien perdu de son agressivité et qui saurait dire, une fois l’Ukraine vaincue, s’il ne va pas, en effet, étendre sa guerre de colonisation a toute l’Europe ?"
Lionel Duroy est l’auteur de plus d’une quinzaine de romans dont Le Chagrin (prix François-Mauriac, prix Marcel-Pagnol), L’Hiver des hommes (prix Renaudot des Lycéens et prix Joseph-Kessel) et Eugenia (prix Anaïs-Nin)
Broché. Format : 20,6 x 13,1 cm. 384 p. 21€
Paule Martigny / Mémoire des Arts – blog-des-arts.com