Vie et destin / Calmann Lévy

Jeudi, 13 Juillet, 2023 - 16:03

Pour les passionnés de littérature russe. Profitez de votre temps libre pour lire cette fresque vibrante de réalisme, qui demeure un puissant plaidoyer contre le fascisme et un chef-d’œuvre littéraire universel et intemporel.

Vassili Grossman passe de la soumission de sa première épopée consacrée à la Grande Guerre patriotique et au héros soviétique à la révolte, avec son second grand roman violemment anti-soviétique qui a fait sa gloire, "Vie et Destin", un texte épique qui dépeint la violence et l’espoir au cœur des ténèbres du conflit. Du front de l’Est aux goulags de Sibérie, des camps de la mort en Pologne aux villages ravagés d’Ukraine, Vassili Grossman inscrit les destinées individuelles de tout un peuple dans les grands bouleversements de son époque. Son revirement, complet désaveu de ses positions précédentes, a plusieurs causes comme l'écrit Dominique Fernandez dans "Le roman soviétique, un continent à découvrir" (Grasset, 2023) : "son attachement aux gens simples, son goût de la vérité, sa foi dans l'homme (et non dans le Parti), ses convictions humanistes…", "Le chapitre le plus poignant de Vie et Destin est la lettre qu'une mère juive adresse à son fils, la veille du jour où elle sait qu'elle va être gazée". L'amour et la confiance en la vie, c’est bien ce que Vassili Grossman s'efforce de transmettre dans ses livres, malgré l'horreur et l'enfer soviétique à l'égal de l'enfer nazi. Le salut, pense Grossman, ne réside pas dans le combat pour le Bien, mais "dans l'exercice de la bonté, de l'humble bonté individuelle". Une scène illustre ce qu'est cette vraie bonté, celle que les gens simples portent en leur cœur, celle de la vie de tous les jours, à l’exemple de cette femme russe offrant un quignon de pain à un prisonnier allemand qui risque d'être lynché. "Sa force réside dans le silence du cœur de l'homme" écrit-il. Dans "Vie et Destin", l'action se déroule entre l'été 1942 et la fin du printemps 1943. Elle est centrée sur la bataille décisive de Stalingrad et sur le destin d'une famille juive, les Chapochnikov, qui trouvent refuge dans un appartement de la ville assiégée. La campagne d'antisémitisme fit office de détonateur et ouvrit les yeux de Vassili Grossman sur les autres persécutions menées par le régime communiste. Le parallèle qu’il fait entre les deux totalitarismes fut sans doute une des causes de la persécution dont il a été l'objet. "Chaque époque a une ville qui la représente au monde et qui abrite son âme, sa volonté. Stalingrad fut cette ville pendant un certain temps de la Seconde Guerre mondiale. Elle concentra toute la pensée et la passion du genre humain." Confisqué par le KGB, le manuscrit de Vie et Destin a été introduit clandestinement en Occident. Ce roman fut publié pour la première fois en langue russe à Lausanne en 1980, en pleine guerre froide. Sa sortie fut un événement majeur. Il ne fut publié en Russie qu'en 1988. Grossman ne dénie pas son admiration pour Tolstoï, pour la forme du roman et pour le culte de la bonté. Tolstoï, mais aussi et surtout Tchékov pour son humanité et sa compassion pour tous les êtres. "Vie et Destin", où nous ressentons une grandeur métaphysique, fut comparé à "Guerre et Paix". Par le fond soit, mais pas par le style. Cette édition est enrichie d’une préface inédite de Luba Jurgenson et de matériel (cartes, chronologie, liste de personnages). Traduit du russe par Alexis Berelowitch et Anne Coldefy-Faucard. Broché. Format : 14,5 x 22 cm. 1008 p. 32€. Quatre autres œuvres majeures ont paru chez le même éditeur : Pour une cause juste, Tout passe, Souvenirs et Correspondance, et, Carnets de guerre. Paule Martigny – Mémoire des Arts