La surface et la chair / Hazan – Pavillon populaire Montpellier

Mardi, 18 Avril, 2023 - 08:15

Madame d’Ora, Vienne-Paris, 1907-1957. Une œuvre singulière présentée dans tous ses aspects pour la première fois en France.

Ce catalogue remarquable permet de garder en mémoire cette exposition consacrée à Dora Philippine Kallmus (1881-1963), fille de l’avocat Philipp Kallmus et de Malvine Kallmus née Sonnenberg. Portraitiste mondaine à Vienne elle devint une figure majeure de la photographie de mode jusque dans le Paris des Années folles où elle s’installa en 1925. Après 1945, elle porta un regard empathique sur les victimes de la guerre et de la misère. En plus de cinquante ans elle offrit une chronique, du glamour aux temps sombres, des aristocrates et des artistes d’avant-garde aux réfugiés exsangues, de l’univers mondain aux tragédies. Monika Faber dans son texte "Le miroir qui embellit" évoque les ateliers de photographie de Madame d’Ora à Vienne et à Paris, 1907 à 1940. Soulignons qu’à cette époque la formation d’un photographe et l’équipement d’un atelier nécessitaient des coûts faramineux. Dora, en l’occurrence, eut la chance d’être soutenue par son père. Quelques mois après l’ouverture de son atelier, son style est rapidement repéré. Elle possède une capacité à capter les gestes spontanés et use d’un décor délibérément sobre, en opposition au goût de l’époque. En artiste, elle recherche à capter "une radiographie de l’âme", qu’il s’agisse de celui de Gustav Klimt en 1907, Joséphine Baker en 1926, le danseur Serge Lifar en 1935 qui se cache les yeux des mains, de celui de Colette à la fin de sa vie ou de Picasso dans les années 1950. Son autoportrait au chat noir de 1929 est exceptionnel, d’une remarquable composition dépouillée. Que voit-on ? Une coupe à la garçonne, cheveux noirs, bas du visage coupé par un chat noir allongé encadré par deux mains longues et fines. Entre la frange de cheveux et le chat juste le regard fixe attentif, légèrement mélancolique, on ne saurait le dire. Jean-Marc Dreyfus est l’auteur du texte suivant : "Ce serait passer à travers ce monde inconnu les yeux fermés et ce serait impardonnable". Dora Kallmus passera dès la mi-décembre 1942, dix-huit mois dans une semi-clandestinité, comme tant de Juifs en France pendant l’Occupation. Magdalena Vukovic produit le dernier texte : "Portraits et recherches. La dernière période de création de d’Ora, 1938-1958". La gravité s’impose d’elle-même par le constat. La recherche esthétique reste néanmoins éblouissante en dépit du sujet tragique, jusque dans les abattoirs, cruelles images d’une troublante correspondance avec les déchirants événements de l’histoire passée et proche. Depuis 2010, le Pavillon Populaire, sous la direction de Gilles Mora, propose une programmation photographique de grande qualité, présentant les grands courants et les plus belles expressions de l’art photographique. Les trois auteurs des textes : Monika Faber est diplômée en histoire de l'art et archéologie classique. Conservatrice du Musée d'art moderne de la Fondation Ludwig de Vienne, Autriche (1979-1999), puis conservatrice en chef de la collection photographique de l'Albertina (en 2003). Elle est actuellement directrice du Photoinstitut Bonartes à Vienne. Jean-Marc Dreyfus est un historien français, auteur de plusieurs ouvrages autour de la Shoah et de la Seconde Guerre mondiale. Agrégé d’histoire, docteur de l'Université de Paris, il a soutenu sa thèse, sous la direction d'Antoine Prost, sur 'L'aryanisation économique des banques. La confiscation des banques "juives"en France pendant l’Occupation et leur restitution à la Libération, 1940-1952". Il est chercheur au sein du projet d’édition "Persécution des Juifs de France, 1933-1945", codirigé par les Archives fédérales allemandes, l’Institut d’histoire contemporaine de Munich et l’Université de Fribourg/Breisgau. Magdalena Vukovic est historienne de la photographie et commissaire d'exposition, elle s'intéresse à la photographie en Autriche jusqu'aux années 1950. Depuis 2011, elle est conservatrice au Photoinstitut Bonartes. Dans son travail elle privilégie une approche interdisciplinaire. Broché. Couverture à larges rabats. Format : 39 x 28 cm. 144 p. 24,95€. "La Surface et la Chair", Pavillon Populaire de Montpellier, jusqu’au 16 avril 2023. Paule Martigny