Louis Janmot. Le Poème de l'âme/ Musée d'Orsay – In Fine éditions d'art

Vendredi, 27 Octobre, 2023 - 20:12

L’exposition propose de découvrir Le Poème de l’âme dans son intégralité.

Commencé à Rome en 1835 et poursuivi jusqu’en 1881, Le Poème de l’âme est le grand œuvre de l’artiste lyonnais Louis Janmot (1814-1892), à la fois pictural et littéraire. Trente-quatre tableaux et dessins, conservés au musée des Beaux-Arts de Lyon, forment deux séries distinctes, accompagnés de poèmes en vers. L’exposition invite à parcourir l’histoire d'une âme, à embarquer avec les personnages pour un voyage initiatique et à les suivre dans leur quête d’absolu. Formé de deux cycles, il fut qualifié par Henri Focillon, directeur du musée des Beaux-Arts de Lyon de 1913 à 1924, « d’ensemble le plus remarquable, le plus cohérent et le plus étrange du spiritualisme romantique ».

Tombé dans l’oubli, sauf à Lyon où les peintures du Poème de l’âme étaient réunies dans une même salle spécialement allouée, Louis Janmot a travaillé quarante années à son grand œuvre. Sa démarche profondément ancrée dans le XIXe siècle, apparaît pourtant singulière et émouvante. Hormis une présentation du premier cycle grâce à Delacroix lors de l’Exposition Universelle de 1855, Le Poème de l’âme est resté ignoré. Empreint de culture littéraire, de Virgile à Milton, ancré dans le catholicisme mais sensible également au mouvement maçonnique et mystique des illuministes lyonnais, Louis Janmot fut admiré de Baudelaire dont il partageait l'abandon au spleen. Le photographe Félix Thiollier reproduisit peintures et dessins dans une publication en deux volumes des près de 3 000 vers du Poème de l’âme, éditée en 1881. Louis Janmot était-il trop singulier pour son temps, comme le pensait Eugène Delacroix, admirateur et défenseur du Poème de l’âme ? Le catalogue s'ouvre sur l'autoportrait de Louis Janmot peint en 1832. Il est né en 1814, il a donc dix-huit ans. Son visage nous renseigne sur sa personnalité. Il est à la fois sensuel et tourmenté. Quelle intensité dans ce regard enfiévré ! L'artiste est totalement habité par son œuvre.

Dans l’exposition du musée d'Orsay, une série de « cabinets » thématiques permet d’explorer les inspirations philosophiques, spirituelles et littéraires du peintre-poète et de découvrir ses affinités avec d’autres artistes, de ses aînés William Blake et Johann Heinrich Füssli, à Odilon Redon de la génération suivante. L’iconographie de l’âme est souvent associée à celle de l’ange gardien aux ailes protectrices, ailleurs un focus s'opère sur les « dangers de l’inconscient ». Le peintre-poète convoque La Divine Comédie de Dante, Le Paradis perdu de John Milton, les nazaréens ou encore les préraphaélites pour produire une œuvre étonnante, mystérieuse et romantique, véritable épopée spirituelle dans laquelle Baudelaire relevait «un charme infini et difficile à décrire, […] une mysticité inconsciente et enfantine ».

Le premier cycle est composé de dix-huit peintures à l’huile sur toile exécutées entre 1835 et 1854. Enchâssée dans des paysages inspirés de la peinture de la Renaissance, l’âme, figurée par un enfant puis un garçon au visage pur est guidée par l’amour idéal d’une jeune fille vêtue de blanc, son âme soeur qui, comme lui, aspire au ciel, à la pureté et à l’harmonie. On suit les étapes et les vicissitudes de leur parcours : naissance, enfance, dangers d’une mauvaise éducation, retour sur le droit chemin, amour naissant, rêve d’idéal, puis expérience terrible de la réalité avec la mort prématurée de la jeune femme. Celle-ci, trop chaste et tendre pour les brutalités terrestres, se dilue dans les nuées, laissant l’âme désespérément seule.


Le second cycle, composé de seize grands dessins au fusain sur papier marouflé sur toile auxquels Janmot travailla jusqu’en 1881, raconte comment le garçon désormais seul et devenu adulte, est confronté aux tentations et aux malheurs de l’âme humaine : solitude, doute, refus de Dieu jusqu’à la chute fatale. Confrontée au péché, à la tentation et au supplice, l'Ame s’abîme dans le doute. Grâce à l’intercession maternelle, elle sera sauvée,
« arrachée des ombres de la mort ». Aux coloris frais, aux gazons fleuris et aux nuages crémeux du premier cycle, répond la gamme contrainte de bruns et gris des seize immenses dessins – fusain et craie – qui concluent cette épopée spirituelle. Le puissant talent de Janmot, qui fut élève d’Ingres, donne aux montagnes et aux arbres, aux drapés et aux corps, une sensualité parfois sombre, voire tragique, lorsque l’âme, à l’image du peintre, pleure un paradis perdu. La fin, heureuse, voit survenir la délivrance divine et la rédemption de l’homme. Le second cycle ne fut jamais exposé dans sa totalité du vivant de l’artiste mais l’intégralité des œuvres furent reproduites par le photographe Félix Thiollier en 1881, grâce au procédé au charbon.


Un long poème de deux mille huit cent quatorze vers, intitulé
L’Âme, accompagne les oeuvres. Écrit par Janmot lui-même et publié en deux fois, la première partie en 1854 et l’autre en 1881, il renforce parfois le « message » ou la signification des peintures, et leur est indissociable. Le Poème de l’âme œuvre hybride, à la fois littéraire et picturale, invite à la contemplation.

Cette exposition est organisée par le musée d’Orsay avec la collaboration scientifique et les prêts exceptionnels du musée des Beaux-Arts de Lyon. Autres prêteurs : les musées d'Orsay, du Louvre et des collectionneurs privés. Sous la direction de Servane Dargnies-de Vitry, conservatrice peinture au musée d'Orsay et Stéphane Paccoud, conservateur en chef, chargé des peintures et des sculpture du XIXe siècle au musée des Beaux-Arts de Lyon. Catalogue relié. Format : 24 x 28 cm. 192 p. 180 illustrations. 35€. Musée d'Orsay jusqu'au 7 janvier 2024.

Paule Martigny – Mémoire des Arts / blog-des-arts.com