Maison Ravier, à Morestel, hommage à l'un des pères du Cubisme analytique, Albert Gleizes et à ses disciples...

Lundi, 31 Mars, 2014 - 10:15

Un exercice périlleux, un pari réussi par Jean-Claude Gauthier...

Pourtant, rien n'était facile, puisque toute l'œuvre d'Albert Gleizes (1881-1953) repose sur la quête d'une rigueur, en opposition au courant en place, comme l'Impressionnisme. Dans la production d'Albert Gleizes et de ses amis ou véritables disciples, il n'y a jamais de place pour le sentimentalisme ou l'angélisme. Un des mérites appréciables, de cet accrochage est de nous montrer des paysages figuratifs d'Albert Gleizes, souvent très quelconques, peints autour de Courbevoie, vers 1905. La volonté de lui rendre les honneurs qu'il méritait, dans un lieu prestigieux, naquit dès 1938, à l'initiative de Raymond Escholier, René Héron de Villefosse (auteur d'une remarquable « Histoire de Paris ») et de Gilles de la Tourette, tous trois conservateurs du Petit Palais, à Paris. Dans le vénérable, et très utile catalogue qui accompagnait cet événement, nous apprenons que les amis d'Albert Gleizes sélectionnés, étaient : Robert et Sonia Delaunay, Auguste Herbin, Serge Férat, André L'Hote, Léopold Survage, Jacques Villon, Alfred Reth, et l'australienne, Anne Dangar. Dans la préface, l'épouse d'Albert Gleizes, Juliette Roche-Gleizes (1884-1982), elle même, peintre, écrivait : « En 1938, l'art né du Cubisme commençait à peine à ne plus troubler l'ordre établi. » Celui qui fit le plus, dans ces dernières années, pour la reconnaissance de l'œuvre d'Albert Gleizes, est incontestablement, Christian Briend, commissaire de l'exposition « Le Cubisme en majesté » présentée au musée des Beaux-Arts de Lyon, en 2001. Spécialiste indiscuté, Christian Briend accepta de préfacer la réédition du texte fondamental, intitulé « Du Cubisme » réédité chez Hermann, en 2012, cent ans après la première édition qui était prévue pour l'exposition de la Section d'Or, à la galerie de la Boétie, en 1912, parmi les illustrations les compositions de : Paul Cézanne et André Derain figuraient comme des références selon Albert Gleizes, Pablo Picasso, Georges Braque, Fernand Léger, Marie Laurencin, Francis Picabia, Marcel Duchamp, Juan Gris, et trois absents de circonstance pourtant exposants : Auguste Herbin, Robert Delaunay et Henri Le Fauconnier. On comprend, à la lecture de ce « manifeste », à quel point, l'engagement d'Albert Gleizes, de Jean Metzinger, et de leurs amis, était exigeant. Pour une des nombreuses rééditions, il écrira, en 1945, depuis sa demeure des Méjanes : « Le nom sert aujourd'hui à désigner globalement des personnalités disparates, dont les orientations sont, la plupart du temps, opposées, ce qui ne simplifie pas la tâche de ceux qui cherchent à étudier le sens d'un mouvement pictural qui fut préoccupé par un faisceau d'idées précises, que notre essai résume substantiellement. ». Le seul disciple lyonnais, authentiquement désigné, par Albert Gleizes, à l'occasion de la rétrospective de ses œuvres, présentée à la Chapelle du lycée Ampère, en 1947, était René-Maria Burlet (1907-1994). Un extrait de la lettre qu'il lui adressa en 1949, figure dans la monographie de René-Maria Burlet que j'ai publié en 2000. René-Maria Burlet posait cette question incontournable, et plus que jamais d'actualité : La Peinture, pour quoi faire ? René-Maria Burlet qui me disait au téléphone : Alain, trempez votre plume dans le vitriol !... Ce qui voulait dire, soyez vigilant, gardez les yeux ouverts, évitez les compromissions. René-Maria Burlet, à ce titre, fut toujours exemplaire. Je me souviens de la turbulente, Denise Mermillon, fille de Marius Mermillon qui s'était opposé au Cubisme et à l'œuvre de Gleizes, me disant : «  Alain, il fallait voir René Burlet, traverser la galerie, lorsqu'il m'apportait une affiche. Il regardait droit devant lui, de peur d'être contaminé, si son regard avait croisé les toiles accrochées (souvent celles des Sanzistes). » La véhémence d'Albert Gleizes était telle, qu'il n'hésitait pas à écrire : « Que la fin ultime de la peinture soit de toucher la foule, nous en avons convenu, mais ce n'est pas dans la langue de la foule que la peinture doit s'adresser à la foule, c'est dans sa propre langue, pour émouvoir, dominer, diriger, non pour être comprise. » Dans la maison Ravier, la présence de nombreux grands formats de René-Maria Burlet (la monumentalité est un critère déterminant) nous a particulièrement réjouis. Nous avons, si peu souvent, l'occasion d'admirer l'œuvre de René Maria Burlet qui conçut en 1942, avec Jean Bertholle, Claude Idoux, Etienne-Martin et Albert Lenormand, l'Atelier du Minotaure, une école où, ils organisaient des cours et des conférences. A propos de l'enseignement d'Albert Gleizes, René-Maria Burlet, dans un entretien avec le critique d'art, René Deroudille, devant ma caméra, en 1988, expliquait : « C'est d'abord, Albert Gleizes qui nous a un peu aiguillonés sur l'aspect symbolique de la Nature et des gestes, parce que pour Albert Gleizes, c'était d'abord remplir la surface suivant les gestes, les gestes naturels. René Deroudille : Absolument. Le geste horizontal, vertical, et le tourbillon. René-Maria Burlet : C'est ça, le tourbillon, la verticale et l'horizontale. C'est ce qui nous amena au Symbolisme de la Croix dont René Guénon a défini beaucoup de choses. C'est ainsi qu'on a été entraîné dans le Symbolisme de la Nature, mais orienté par Albert Gleizes d'une part, et, atténué ou exalté par René Guénon. » A la maison Ravier, il eut été possible, à quelques kilomètres de Serrières, où, Albert Gleizes vécut avec son épouse, à partir de 1923, et donc, tout près de Moly Sabata, d'évoquer ce qui fut une des plus généreuses initiatives artistiques du XXe siècle, en France. Cette admirable expérience de phalanstère commencée par Robert Pouyaud, en 1924, fut décrite, en 2010, dans la ville d'Antony. Parmi les expérimentateurs de Moly-Sabata des artistes et des artisans, comme : Robert Pouyaud (Albert Gleizes avait acquis Moly-Sabata à sa demande, en 1927), le musicien César Geoffray, sa femme Mido, et sa fille, la danseuse Gilka Beclu-Geoffray, Anne Dangar, la potière, Michel Seuphor, peintre, historien et critique d'art, les artistes Jean-Claude et Yvette Libert, Geneviève de Cissey-Dalban la potière proche d'Anne Dangar, la tisseuse Claude Famechon, le céramiste Michel Carlin, Lucie Deveyle la tisseuse, Jacques Plasse et sa femme Bilou Le Caisne, tisseurs, Francine Bensa, graveur. Il ne faut, absolument pas, les confondre avec les disciples d'Albert Gleizes qui le suivirent ou le visitèrent jusqu'à sa dernière demeure acquise en 1926, les Méjades, comme : Jean Chevalier, Andrée Le Coultre et son époux Paul Regny, Albert Coste, Dom Angelico Surchamp conférencier du Minotaure, etc. Cette exposition permet de revenir sur l'évolution de Jean Chevalier qui délaissa le Cubisme pour l'Abstraction. J'avais eu l'occasion de l'interroger, à la demande de Thierry Raspail, dans son atelier de Vienne, en compagnie de son épouse. Son art était bien loin de la rigueur d'Albert Gleizes, dont les principes fondateurs étaient Translation et Rotation. Pendant ma visite, à Morestel, je me suis réconcilié avec le travail de Paul Régny (1918-2013) qui fut à ses débuts l'élève d'Antoine Chartres au cours du soir de l'école des beaux-arts de Lyon. Je l'ai toujours considéré, en partie à tort, comme un banal suiveur. Jean-Claude Gauthier a choisi des toiles qui démontrent que Paul Régny n'était pas seulement, l'époux d'Andrée Le Coultre (1917-1986), et l'admirateur d'Albert Gleizes, mais aussi un artiste inspiré, capable de sublimer son esprit, à l'exemple de son œuvre intitulée « Eclat » de 1980. Le Coultre et Régny firent connaissance d'Albert Gleizes, en 1948, avec le groupe Arc-en-Ciel fondé par René Deroudille et Reine Bruppacher. Vous découvrirez, les compositions de Robert Pouyaud (1901-1970) qui fut l'un des premiers lecteurs de René Guénon, et souvent en conflit avec Albert Gleizes, ce qui le poussera à quitter Moly-Sabata, en 1930. Vous verrez aussi d'admirables poteries vernissées d'Anne Dangar (1887-1951), comme on en trouvait dans la galerie de Marcel Michaud qui organisa la rétrospective Albert Gleizes de 1947, pendant laquelle, Daniel Gloria (1908-1989) adhéra aux principes gleizistes. N'oublions pas le Cercle Lyonnais, fondé par René Deroudille (1911-1992) et par Marcel Michaud (1898-1958). René Deroudille avait rencontré Albert Gleizes, dès 1936. Je tiens à dire, mon admiration à ceux, qui à juste titre ne figurent pas à la maison Ravier, mais qui eurent le courage de poursuivre leur destin, en ouvrant une voie pour leur inspiration, comme Camille Niogret. Nos félicitations à Jean-Claude Gauthier et à toute l'équipe de la maison Ravier. Je vous recommande la visite indispensable de cette initiative rare, et très maîtrisée. Si, vous appréciez la peinture, et son histoire, il est impossible pour vous de ne pas l'avoir vu, seul, ou avec des amis. Gleizes et ses disciples. Maison Ravier, Morestel, jusqu'au 22 juin 2014. Ouvert de 14h30 à 18h30, sauf le mardi et le 1er mai. 04 74 80 06 80. www.maisonravier.fr