Le fidèle Rouslan / Éditions Belfond

Mercredi, 1 Février, 2023 - 11:15

La redécouverte d’un roman emblématique, de l’un des plus grands écrivains dissidents russes, injustement méconnu

"Le Fidèle Rouslan", écrit au tout début des années 1960 est l’ouvrage le plus connu de Gueorgui Nikolaevich Vladimov écrivain et ancien dissident. Il ne sera pas publié en URSS avant la perestroïka, publié clandestinement en Allemagne en 1975 par une maison d’édition fondée par des réfugiés russes, puis en France en 1978 au Seuil. Gueorgui Vladimov est né en 1931 en Ukraine dans une famille d'instituteurs. Il commença sa carrière en 1954 comme critique littéraire, puis devint rédacteur à la revue littéraire non conformiste Novy Mir en 1956. Il fut connu en 1961 en Russie quand il publia "Le Grand Filon" (Gallimard, 1963), une nouvelle sur la tragédie d'une vie ordinaire, qui lui valut une presse importante. En 1967, lors du congrès de l’Union des écrivains, Vladimov défendit la liberté artistique. Dix ans plus tard, il démissionna de la même Union et prit la direction de la section clandestine moscovite d’Amnesty International. Constamment surveillé, menacé d’arrestation, il émigra en 1983 en Allemagne de l’Ouest. Ami du dissident Andreï Sakharov, reconnu comme l’un des écrivains les plus courageux de sa  génération, Gueorgui Vladimov s’est éteint à Francfort en 2003. "Le fidèle Rouslan" reflet de l’atroce absurdité du système soviétique n’a perdu ni de sa force ni de sa modernité. Ni tragiquement, de son actualité. "Sommes-nous une nation de chuchoteurs, d’ordures et de mouchards, ou sommes-nous un grand peuple ?" interrogeait-il. En Sibérie, au début des années 1960, Rouslan est un chien de garde dans un goulag, d'une redoutable efficacité. Un matin le camp de prisonniers ferme, son maître le libère. Son monde s'écroule. Que faire quand on n'a connu que le travail ? Quand toute sa vie, on a répondu aux ordres ? Quand on ne sait rien faire d'autre que garder des prisonniers ? Si les autres chiens, ceux qui n’ont pas été abattus, vont quémander de la nourriture chez les villageois, Rouslan, lui, ne se compromet pas. Il n’accepte pas de perdre son identité. Hier encore, il sautait à la gorge du prisonnier fuyard, son flair infaillible lui permettait de retrouver dans les rassemblements celui qui avait volé un quignon de pain. Certes, Rouslan a parfois été choqué, comme ce jour où un des chiens, le plus sauvage, le meilleur, capable de tuer un prisonnier d'un seul coup, parce qu’il avait faibli, parce qu'il avait douté, a été exécuté, ou ce jour où les détenus ont refusé de sortir par -40° et où les gardiens les ont arrosés d'eau glacée. Mais Rouslan a compris que c’est dans la force et dans l'ordre qu'on trouve la liberté. Il va suivre le détenu libéré pour le garder et va connaître les situations les plus absurdes en voulant suivre les consignes qu’on lui a enseignées. Rouslan est le narrateur du roman. C’est à la fois émouvant et pitoyable. Un chef-d’œuvre. Collection Vintage. Traduit du russe par François Cornillot. Broché. Format : 14 x 20,5 cm. 288 p. 14€. Paule Martigny