Lèvres de pierre / Actes Sud

Mardi, 30 Octobre, 2018 - 11:09

Un roman lucide, fascinant, où se mêlent histoire et fiction

  L'auteur, Nancy Huston a remarqué que tout le monde sourit au Cambodge, les vivants et les statues de pierre. Elle explore son trouble. Que se cache-t-il derrière cet indélébile masque? Il en surgit un personnage historique au surnom de Pol Pot. On a en mémoire le film documentaire du cinéaste Rithy Panh, rescapé du génocide, « Le Maître des forges de l'enfer », un entretien avec le bourreau Duch. Le roman de Nancy Huston dissèque la fabrique d'un monstre,. Elle reprend le cours de la vie de ce jeune homme cultivé qui s'appelait Saloth Sâr. Le Cambodge, elle n'y était allée qu'une fois en 2008 et avait tenu un journal. Elle le reprend : « Lèvres de pierre, lèvres de pierre, sourire radieux mais absent, bienveillant mais vide : omniprésent, de même, sur les statues du Bouddha et toutes les photos de Pol Pot… » Nancy Huston remarque qu'elle aussi a un pseudonyme : Dorrit, qu'elle utilise pour ses textes autobiographiques. Elle compose alors son récit à partir des points d'accroche romanesque entre Saloth Sâr et Dorrit. Le parcours de deux personnes qui ont eu une revanche à prendre : Dorrit, et son nombrilisme typiquement occidental, et Pol Pot, ressortissant d'un pays écrasé par des forces historiques qui le dépassent (colonialisme, guerre froide, guerre du Viêtnam, révolution chinoise). Saloth Sâr tranformera son marxisme et fera déferler sur le Cambodge une horreur sans nom. Le choix narratif de Nancy Huston est intéressant : elle tutoie le dictateur cambodgien et parle de Dorrit à la troisième personne du singulier.. Très conseillé. Broché. Format : 11,5 x 21,7 cm. 240 p. 19,80€. Paule Martigny