Pour l’amour de Monna Lisa. Le plus grand vol du XXe siècle / Éditions Steinkis

Mercredi, 10 Janvier, 2024 - 20:19

“Réalité, Fiction, Rêve”. En apparence trois notions apparemment antagonistes mais qui pourtant sont les fils conducteurs d’une histoire frappante.

Pour l’amour de Monna Lisa. Le plus grand vol du XXe siècle est une bande dessinée réalisée par Marco Rizzo et Lelio Bonaccorso. Marco Rizzo est scénariste, journaliste et éditeur d’origine sicilienne. Lelio Bonaccorso est dessinateur et professeur en arts plastiques. Cette bande dessinée vise à retracer les circonstances du vol de la Joconde par Vincenzio Peruggia en 1911.

Elle entremêle des éléments réels et fictifs pour nous présenter ce qui serait la fondation du mythe de Monna Lisa. Les auteurs nous invitent à explorer des dimensions surprenantes de l’histoire du tableau avec la volonté d'être proches de la réalité. Alors que l’on pourrait s’attendre à une explication claire, on en ressort embrouillé. Et c’est de ce nuage que le mythe s’élève.

Le déroulement du récit s'opère avec une sobriété picturale et dialogique. Le choix d’une bichromie noire et sépia porte l'accent sur les émotions et les paroles des personnages. Ce qui confère à l’histoire une simplicité d’où émergeront trois considérations centrales. Elles nous laisseront perplexes quant aux motivations exactes de Vincenzo.

Dans leurs différentes œuvres, Rizzo et Bonaccroso accordent une place importante à la critique sociale. L'histoire du vol n’échappe pas à cette perspective. Vincenzo est un immigré italien vivant dans des conditions de vie modestes et dont les journées de travail sont longues. Sa rencontre avec Elisa est marquée par la solidarité immédiate qu’ils se portent mutuellement en raison de leur appartenance à l’immigration italienne. De plus, Il partage son travail avec un personnage fictif, Jacques, un Africain créé volontairement pour souligner la violence d’un système. Ils sont soumis à la rudesse d’une société xénophobe au début du XXe, dont le sort des étrangers dépend du caractère de leur patron. Ainsi, selon sa condition sociale, qui nous est présentée dès le début de la BD, Vincenzo aurait été enclin à voler la Joconde en raison de la dureté de sa vie, il ne serait qu’un spéculateur voulant gagner son pain.

Pourtant, au-delà des conditions sociales, nous découvrons l’intimité de Vincenzo. Il sera bouleversé par sa rencontre d'Elisa. De planche en planche, son obsession amoureuse devient un élément central quasi onirique. Le personnage d’Elisa se confond avec Monna Lisa. La BD commence sur une citation de Vinci “L’amour triomphe de tout”. En revanche, rien n’indique que le vol est dû à l’amour porté à Elisa et la question reste en suspens. Une ambivalence est introduite sur les motivations de Vincenzo qui provoquent le doute. En ce sens, la BD reste mystérieuse sur l’identité de Vincenzo, est-il un voleur sans scrupule ou un amoureux audacieux ?

Pour couronner notre incompréhension, une troisième considération vient faire voler en éclat toute rationalité et place la BD comme un récit venant sublimer le mythe. Après le vol, Monna Lisa prend la parole et s’adresse à Vincenzo. La réalité éclate, nous ne savons pas si nous sommes dans la tête de Vincenzo ou dans l’imaginaire des auteurs. Par les prises de parole qui sont adressées personnellement à Vincenzo, ce dernier est transformé en sauveur dont la mission est de restituer la Joconde à l’Italie. Malgré la ferveur populaire dépeinte dans la BD, la réalité rattrape la fiction. Comme il l’est expliqué par Francesco Tarentelli, le préfet de police, De Vinci a apporté de lui-même le tableau en France. Cela transforme Vincenzo en un “malchanceux protagoniste d’une inextricable folie”.

L'histoire se termine donc sans réellement éclaircir les motivations de Vincenzo. Il ne faut pas s’attendre à une explication précise d’un vol en tant que lecteur mais plutôt à la présentation d’un mythe, celui qualifié par les auteurs du plus grand vol du XXe siècle.

L'album contient un cahier documentaire qui précise les intentions des auteurs. Très intéressant pour le lecteur. Relié. Format : 16 x 24 cm, 112 p, 18

Henri Bujadoux / Mémoire des Arts – blog-des-arts.com