L'Œil de Nica / Buchet Chastel

Dimanche, 24 Décembre, 2023 - 12:04

Un voyage dans l'esprit du jazz. Une somme de photos intimes et documentaires

 

Photographies de Pannonica de Koenigswater (1913-1988), que rien ne prédestinait à devenir la Baronne du Jazz. Petite-fille du baron Nathan de Rothschild, Pannonica connut une fêlure déterminante peu avant ses dix ans, le suicide de son père. Elle épousa un français, Jules de Koenigswater au moment où elle apprit à piloter des avions, en 1935. Six enfants naîtront de leur union. Leur seul goût commun, l'aventure. La Seconde Guerre mondiale leur en offrit l'opportunité, et dont Jules reviendra auréolé de gloire.

Après le retour à la vie civile, l'amour irrépressible de sa femme pour le jazz s'avéra incompatible avec sa fonction de diplomate. Le baron quitta la "mauvaise" épouse. Pannonica louait ses chambres d'hôtel toujours meublées d'un piano, toutes furent open. Charlie Parker décèdera chez elle à l'hôtel Stanhope sur la 5e Avenue - qui portait bien son nom, puisque ce fut le seul endroit où il fut accueilli. Un scandale parmi d'autres. Pannonica, Nica, c'était une présence lumineuse, une femme joyeuse et fantasque fume-cigarette coincé dans une bouche écarlate, une voix rauque teintée d'un accent british upper class, et l'oreille fine sensible à l'âme du jazz. Une passion véritable.

Au début des années 1960, "lassée d'être indésirable dans les hôtels qui rechignaient à héberger cette fantasque aristocrate blanche et ses bruyants amis noirs, toujours prompts à jouer de leurs instruments quand bon leur semblait, Nica achète Cathouse sur le conseil de Monk. Cette maison de style Bauhaus fut commandée par le cinéaste Joseph von Sternberg à l'architecte Ralph Pomerance dix ans auparavant" comme l'écrit Nadine Koenigswater. La maison de Pannonica, "Cathouse", en référence à la centaine de chats qui l'habitaient, était située dans le New Jersey, séparée par le fleuve Hudson de la pointe de l'île de Manhattan aux gratte-ciels scintillants.

Nica avec sa Bentley décapotable faisait la tournée des clubs de jazz new-yorkais. Elle servait de chauffeur aux musiciens et les invitait chez elle pour une fin de nuit en jam-sessions. Cathouse devint un repaire d'une faune festive de musiciens, comédiens, écrivains, dealers. Pour les jazzmen, un endroit où ils étaient libres de jouer, d'expérimenter, de se reposer. Sur les clichés de Nica on voit beaucoup de dormeurs épuisés. C'est aussi cette intimité entre artistes qui fait l'originalité de l'importante série de portraits au polaroid, appareil révolutionnaire à l'époque, qu'elle utilisa au quotidien comme un journal.

La famille Monk est très présente car après l'incendie qui avait ravagé leur appartement ils avaient vécu à Cathouse. Thelonius Monk, le grand ami de sa vie, y passera les dix dernières années de son existence. Le pianiste Barry Harris y vécut jusqu'à sa mort en 2021, à l'âge de quatre-vingt-douze ans. Nombre de ses protégés lui ont rendu hommage en écrivant des morceaux portant son nom et certains lui ont demandé de réaliser la couverture de leurs albums, car toute sa vie Nica a peint sur papier avec ce qui lui tombait sous la main.

Textes de Nadine de Koenigswater, sa petite-fille, Cathouse, la belle oubliée et de Laurent de Wilde, Le jazz, en vrai. Il écrit: "Ces photos parlent d'elle, de cet univers qu'elle a choisi contre vents et marées, de ces nuits de musique, de ces décors urbains qui teintaient si fort le jazz de boppers, de cette existence de pionniers hors normes qui allait devenir l'emblème des générations futures. Ces photos sont le monde, vu par l'œil de Nica."

Un cadeau unique pour les passionnés de jazz et de be-bop. Broché avec rabats. Format : 16,5 x 22 cm. 304 p. 44€

Paule Martigny – Mémoire des Arts / blog-des-arts.com