Turner / Éditions Citadelles & Mazenod

Lundi, 8 Mai, 2023 - 15:15

Une ère nouvelle dans l’art du paysage. Turner, "La beauté abstraite de la couleur naturelle", écrivait John Ruskin

Joseph Mallord William Turner (1775-1851) est avec John Constable (1776-1837), le plus grand peintre anglais du XIXe siècle. Il échappa peu à peu aux traditions académiques, ses recherches conduites par le goût du sublime le conduisant à l’invention de formes radicalement nouvelles. Admirateur des grands paysagistes anglais et hollandais et des peintres français du XVIIe siècle, comme Poussin et Le Lorrain, il penche pour une nature poétisée. Il poussera sa fascination de la lumière dans des représentations grandioses voire dramatiques avec couchers de soleil, tempêtes, incendies, avalanches, naufrages, etc. Les embrasements donnent alors une dimension fantastique pas vraiment comprise par ses contemporains à l’exception de l’écrivain John Ruskin (1819-1900), qui dès 1840, le hisse au panthéon des artistes anglais. On peut apprécier la justesse de son analyse dans "Turner", édité par L’Atelier contemporain dans la collection Sudiolo en février 2023. Il s’agit des parties les plus représentatives de "Modern Painters" de John Ruskin concernant Turner (paru en quatre tomes de 1843 à 1860). John Gage (1938-2012), l’auteur du texte de ce très beau livre à l’iconographie riche et variée, explore le génie de Turner par une approche thématique, des aquarelles de ses débuts, classiques, mais déjà prometteuses jusqu’aux dernières recherches qui frisent l’abstraction. John Gage, auteur de nombreux ouvrages, était le spécialiste mondialement reconnu de l’histoire de la couleur et des peintres Turner et Constable. Il fut Membre de la British Academy, et a enseigné l’histoire de l’art à l’University of East Anglia, à Cambridge et à Yale. La composition éditoriale irréprochable et intelligente permet de mieux comprendre les recherches de Turner et le contexte son époque (chapitres : L’importance de la gravure, L’Académie et ses rivales, Le rôle des mécènes), ainsi que sa personnalité dont John Constable fit la description en ces quelques mots "(…) Turner m’a bien diverti. J’avais toujours pensé qu’il était comme je l’ai trouvé : rustre mais doté d’un esprit merveilleusement divers". Caractère finement interprété par Timothy Spall dans le film "Mr. Turner", réalisé par Mike Leigh(2014). John Gage retrace avec minutie et pertinence le parcours intellectuel de Turner, son insatiable curiosité pour l’histoire et les sciences, sa passion de la littérature et de la mythologie et sa recherche théorique. Sa quête infinie de la couleur à travers ses voyages est déclinée dans le chapitre : un touriste professionnel. Ses admirateurs Moreau, Monet, Pissarro, Renoir, Ziem, Ensor, certainement le peintre américain Frederic Edwin Church et le Lyonnais François-Auguste Ravier, prendront la mesure de sa modernité. La mise en regard de leurs peintures avec celles de Turner est judicieuse, ainsi que celles d’un sujet identique à parfois plusieurs dizaines d’années d’écart de Turner himself. A la recherche de la perfection, obsédé par la lumière, devant la nature, éprouvant le grand mystère, l’artiste est pénétré. Il est récepteur et transmetteur. Chercher, chercher encore, pour aller plus loin. Ainsi naît "la plage à Calais à marée basse, les poissardes récoltant les appâts" en 1830, la lumière est éblouissante, en surexposition, ou dans une gamme opposée, Turner met le feu dans des couchers de soleil insensés. Comme le dira plus tard Cézanne : "Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude." Mais comment traduire l‘œuvre d’un peintre dans un livre ? C’est toujours un peu une trahison. Rien ne remplace la rencontre physique bouleversante, parfois modificatrice. S’il est un ouvrage qui parvient à un résultat remarquable, c’est bien celui-ci réalisé par Citadelles & Mazenod. Il figurera en majesté dans votre bibliothèque, prêt à être souvent parcouru. Avec dans les annexes, un index des noms et un autre des œuvres. Traduit de l’anglais par Hélène Tronc et Odile Menegaux. Collection Les Phares, riche d’une vingtaine de titres : Bosch, Bruegel, Caravage, Delacroix, Monet, Gauguin, Hopper, O’Keefe, etc. Relié avec tranchefile. Couverture cartonnée et toilée sous jaquette. Avec un coffret façonné illustré. 400 p. Format : 27,5 x 32,5 cm. 199€. Paule Martigny. Mémoire des Arts